Yoshirin au piano

En entrant dans la salle numéro 37 du Studio B qui était située au 3° étage, Eri ouvrit la fenêtre coulissante afin d'aérer un peu la pièce. La salle dans laquelle elle se trouait était assez simple. Il y avait une étagère pour y ranger des partitions, un piano à queue noir accompagné de son tabouret et une chaise pour un éventuel professeur qui viendrait l'écouter. Les salles étant toutes insonorisées, elle n'entendait pas le groupe d'étudiants qui jouaient de la contrebasse dans la salle voisine.

*Ahh... Qu'il fait bon ce matin!*

Une fois satisfaite, Eri s'installa au piano et y posa son cahier de partitions, celui dans lequel elle écrivait ses propres compositions.

"Yoshirin va faire de son mieux aujourd'hui. La partition est compliquée alors on va l'encourager."

Elle tapa dans ses mains comme pour applaudir et posa ses doigts sur les touches de son piano. Yoshirin était le surnom d'Eri, tout le monde l'appelait comme ça. Peu de gens la connaissaient sous le nom d'Eri Yoshimura. Après une grande inspiration, elle promena ses doigts sur le clavier du piano avec dextérité dans une mélodie rapide et complexe. Elle donnait même l'impression qu'elle n'était pas la seule à jouer. Au bout de moins d'une minute, une fausse note la stoppa net.

"Je n'aurais jamais dû composer une partition aussi difficile..."

En fait, la partition qu'Eri avait composé était plus accessible si deux personnes jouaient mais la jeune femme était toujours seule. Ne se décourageant pas, elle reprit là où elle en était mais ne manqua pas de faire de fausses notes.

De son regard d'un bleu céleste l'adolescent regardait ce qui l'entourait d'un regard intéressé. La décoration, simple mais luxueuse des murs immaculés, les numéros des salles écrits proprement, rares étaient les bâtisses aussi propres et respirant ainsi la sainteté. Luis Miguel faisait un peu tâche au milieu de tout cela, vêtu d'un large jean tombant sur une paire de baskets aux lacets dénoués, et d'un polo bleu pâle décoré de quelques motifs abstraits noirs dans le dos. Ses cheveux détachés voletaient autour de sa figure mature, et à chacun de ses pas un bracelets de grelots résonnait.
Le voilà à présent au troisième étage de l'université. L'endroit où il se trouvait devait être dédié à la musique et malgré les murs insonorisés, le couloir était empli des vagues sons que laissait passer les murs. Des accords de violoncelle, de flûte traversière ou de trombone, parfois des instruments plus contemporain, comme des basses ou une batterie. Tous ses sons résonnaient harmonieusement, créant une mélopée unique dont se délectait Luis Miguel. Une note dissonante se fit entendre. Le son d'un piano, qui couvert par les autres instrument trouvait le moyen de se différencier en agressant l'ouïe d'Alejandro ! Perturbé par ce pauvre instrument traumatisé, le jeune homme chercha la salle d'où cette mélodie gauche arrivait. Salle n° 37 ? Exact. Doucement l'individu poussa la porte pour y glisser sa bouille et apercevoir de son regard céruléen le diable faisant crier une pauvre âme. Une note fausse se fit réentendre, Luis Miguel grinça des dents tant le son était hideux ! Pourtant sans ses notes incommodantes, la musique serait parfaite. Pour faire sentir sa présence Luis Miguel prit la parole.

"Mon Dieu pauvre piano ! Aurait il des casseroles aux lieux de cordes ?"

Un sourire éclairait son visage malgré le ton indigné de l'adolescent. Ce n'était pas Méphistophélès qui malmenait l'instrument à cordes, mais une jeune muse. De longs cheveux bruns légèrement ondules cascadaient sur ses épaules menues, jurant avec sa peau d'un blanc laiteux. Il ne savait pas qui était cette fraîche personne, mais il ne tarderait pas à le savoir !

Lorsque le jeune homme entra dans la salle, Eri stoppa net ses mouvements et tourna la tête vers lui, haussant les sourcils en voyant cet inconnu qui faisait irruption.

"Je teste une de mes compositions les plus difficiles. On ne peut pas être parfait dès le premier essai. Le piano demande énormément d'entraînement pour être parfaitement maîtrisé."

Eri tendit la main à ce mystérieux garçon à la tenue vestimentaire peu commune dans une école de cette catégorie d'étudiants, ceux issus de familles fortunées. Les doigts de la jeune fille étaient longs et fins, formé ainsi en raison des longues heures qu'elle a passé à jouer du piano depuis de nombreuses années.

"Je m'appelle Eri Yoshimura, 20 ans et je suis en 3° année. Mais tout le monde me connais plutôt sous le surnom de Yoshirin. Et toi?"

Malgré l'extrait que ce jeune homme avait pu entendre de sa musique, Eri était une pianiste de talent qui avait remporté des concours à de nombreuses reprises et qui, en plus de maîtriser cet instrument avec justesse, composait aussi des partitions pleines de sens mais aussi de notes, ce qui les rendait très difficiles à jouer.

Luis Miguel fit la moue. Il ne s'attendait pas à se faire ainsi rabrouer ! Jamais il n'avait joué d'un instrument, car il n'avait pas la patience, l'un de ses nombreux défauts. Mais qu'importe, il s'était adonné à bien d'autres choses qui étaient tout aussi grandissantes ! Quoi qu'il en soit la jeune femme après avoir tourné son regard de braise vers lui tendit une frêle quenotte, que l'adolescent hésita à saisir dans sa grande main. Elle paraissait si frêle qu'il eu peur de lui briser les os. Puis de but en blanc, elle se présenta. Chose naturelle, c'est exact, mais Luis Miguel était tellement plus habitué à ce que les gens passent à côté de lui sans faire attention à sa présence, à ce qu'il était, le bousculant sans faire attention, que la question qui suivit lui fit marquer un temps de silence absolu.

"Euh, Luis Miguel Porfirio Diaz, je suis en seconde..."

Nouveau moment d'intense solitude, le jeune homme n'était que peu doué pour la conversaton ! Mais qu'importe, il devait bien avoir un sujet abordable... la musique tiens, même si ses connaissances dans ce domaine s'arrêtaient à la clef de do...

"Tu fais du piano depuis longtemps?"

Luis dégagea sa main de celle de la jeune fille pour effleurer les touches blanches du bout des doigts, l'air pensif. Il appuya sur une touche, et une note en sortit, aussi dissonnante que les fausses notes de Yoshirin. Il avait appuyé un peu trop...

Eri se mit à sourire. Dès qu'il s'agissait de piano, elle était toujours contente.

"Oui, j'en fais depuis que j'ai cinq ans. C'était pas facile au début... Avoir des petites mains n'est pas un avantage quand on veut faire des morceaux compliqués."

Elle se rappelait encore de ses premières leçons de piano et de son professeur. C'était un talentueux pianiste d'une trentaine d'années, toujours très gentil. Pendant les pauses, il lui parlait de sa femme et de ses enfants avec tellement de passion qu'Eri se demandait pourquoi ses parents n'étaient pas comme ça avec elle. Sa soeur aînée avait été choyée et aimée alors qu'Eri était critiquée et oubliée.

"Tu veux que je te joue un morceau? Pour te montrer que mon véritable jeu n'est pas celui que tu as entendu, héhé!"